⬛ Intolérance, racisme…Une explication avec le syndrome du grand méchant monde

Nous avons aussi traité ce sujet en vidéo ici :

Les médias, les internautes, les associations s’inquiètent d’un retour massif au racisme, à l’intolérance, aux idéologies autoritaires exploitant la peur et l’ignorance de ceux qui y adhérent. Nous proposons par cet article un embryon d’explication – non une réponse complète – en nous basant sur un « syndrome » méconnu qui explique aussi la tendance au l’autoritarisme :

 

Le syndrome du grand méchant monde

Selon Gerbner, une forte consommation de télévision (au-delà de deux heures par jour) crée un « syndrome de grand méchant monde » auxquelles les actualités participent, avec évidemment tous les reportages, enquêtes sur les serials killers, les meurtres et le dur travail de la police confrontée a l’horreur chaque minute, etc.

 « George  Gerbner  a demandé à des volontaires combien d’heures ils regardaient la télévision par jour, et leur a ensuite demandé d’estimer la probabilité d’être la victime d’une agression dans la rue, dans une semaine de vie normale. Il a constaté que les personnes regardant le plus la télévision (au-delà de quatre heures par jour) estimaient cette probabilité à 50%, alors que la probabilité réelle, dans le cadre de cette étude, était de l’ordre de 1 pour cent. Ainsi, les téléspectateurs surestimaient d’un facteur 50 la dangerosité du monde réel, à partir de l’image que leur en donnait la télévision. »

« 150 petites expériences de psychologie des médias », Sébastien Bohler.

 Une autre étude confirme le lien entre peur et consommation de télévision :

 « Dans une étude portant sur 450 collégiens du New Jersey, le psychologue Joseph Dominick a interrogé les enfants à propos de leurs pratiques télévisuelles, ce qui l’a conduit à les classer en deux groupes de téléspectateurs, « assidus » et « occasionnels ». Il leur a ensuite demandé d’imaginer qu’ils marchaient seuls dans une ville la nuit, et de décrire les sentiments qu’ils éprouvaient. Comme on s’y attend, les téléspectateurs assidus ont décrit plus de sentiments de peur et d’appréhension que les téléspectateurs occasionnels, mais il restait à prouver que c’était bien la télévision qui les rendait peureux. J. Dominick a alors constitué deux groupes de collégiens et les a soumis à deux régimes télévisuels : le premier groupe était soumis à des doses intenses de télévision, le second à des doses plus modérées. Il a ensuite fait passer des questionnaires à tous les collégiens, afin d’évaluer leurs réactions de peur dans une multitude de situations de la vie, que ce soit à l’école ou en dehors. Il s’est avéré que les collégiens du premier groupe développaient des réactions de peur bien supérieures à ceux du deuxième groupe.

Cette expérience montre ainsi que c’est le spectacle répété des programmes de télévision qui modifie l’attitude des téléspectateurs face à diverses contrariétés de la vie, en les rendant plus peureux. « 

« 150 petites expériences de psychologie des médias », Sébastien Bohler.

 La télévision déforme la perception du monde en mettant le focus sur les drames, les meurtres, la dangerosité de notre monde. Elle engendre la peur, l’anxiété. Et la peur n’est pas forcément une bonne conseillère :

  • la peur est une réaction d’urgence : elle sert à s’enfuir face à un danger par exemple. Donc, les informations effrayantes sont automatiquement considérées comme vraies, parce que les situations liées à la peur sont naturellement peu propices à la réflexion. Donc, pour que le média fasse croire une information, lui donne un impact fort, il lui suffit de dramatiser l’information. Et c’est ce que font tout le temps les médias, pour attirer et maintenir l’attention, attention qui est leur fond de commerce. Pour exemple : mettre des musiques dramatiques et stressantes derrière des images, qui prises seules sont bien loin d’être effrayantes ; faire des plans comme le projet Blair Witch ; choisir les plans les plus chargés d’émotion (personnes en pleurs) ; dépêcher un journaliste sur place (ce qui donne une ampleur à l’événement, même si le cadre n’apporte rien en soi) ; transformer les termes descriptifs pour qu’ils fassent peur (« encéphalite spongiforme bovine » devient « vache folle »)

Poison mental, le cumul des images de pédophiles, de tueurs, de bébés morts, d’enlèvements, de criminalité crée un socle de pensées chez le téléspectateur : le monde est horrible il faut y mettre de l’ordre, il faut taper du poing sur la table pour régler ce Mal. Après avoir inoculé le poison, la télévision propose l’antidote le plus dénué de réflexion profonde : elle valorise les documentaires sur la police, sur les services de sécurités, sur l’ordre par la répression vive, sans jamais s’interroger sur l’origine et les causes de la criminalité. Elle crée l’illusion de l’insécurité totale puis préconise implicitement la solution : un état sécuritaire, surveillé par de nombreuses caméras de surveillance et autres procédés (drones, espionnage des citoyens sur le web…). Il le faut, car vous avez 50 % de chances de vous faire agresser durant la semaine. Ah non… un seul pourcent seulement.

Nous postulons qu’il en est de même avec Internet : certains clusters d’informations, certains clusters sociaux remplissent certains internautes d’images, de vidéos, d’informations qui créent une représentation du monde erronée n’ayant strictement rien à voir avec la réalité. Un grand méchant monde 2.0 complotiste, paranoïaque, encourageant à l’autoritarisme. Là, ce n’est pas la peur de la rue qui est suscitée, mais la peur de catégories de population à qui on attribue tous les méfaits du monde.

Mise à jour de 2023  Non seulement cela peut être un effet de certains cluster d’informations sur le net, mais ces groupes organisent sciemment cette mise en lumière des news violente pour augmenter l’adhésion à l’extrême droite. Le grand méchant monde est sciemment suscité :

    • ici un ex-membre d’un groupe fasciste explique comment ils mettaient en avant des faits divers impliquant des personnes non blanches, comment ils jouaient de faux profils mulsulmans pour les faire passer toute la communauté pour violente : https://www.midilibre.fr/2012/10/08/un-militant-repenti-balance-les-secrets-de-l-ultra-droite,574771.php
    • l’affaire cambridge analytica montre comment de multiples manipulations de masse sont organisés (par des influenceurs politiques tels que Bannon ou encore , à travers la diffusion de fake news, pour mobiliser et augmenter l’extreme droite :

Viraliser l’extrême-droite : le plan de Bannon [CA3]

Manipuler les gens vers l’extrême-droite [CA4]

Rendre plus explicitement raciste… [CA5]

  • Parfois ils le disent même explicitement en public. Ci-dessous Aaron Banks et Andy Widgmore, qui ont participé à augmenter l’adhésion pour le brexit, explique leur stratégie de prendre des fakes news servant un discours d’extrême-droite, allumer un feu sur les réseaux sociaux puis passer le ventilateur dessus  :


 Les conséquences ?


Ce syndrome du grand méchant monde a pour conséquence d’encourager à devenir autoritaire et donc choisir des politiciens qui misent sur la sécurité, la répression, l’intolérance, l’Ordre, donc des idéologies étant ou allant vers l’extrême-droite. Parfois ce méchant monde est expliqué de façon simpliste aux électeurs : le méchant monde est méchant à cause d’une population particulière ; c’est parce que telle population règne en secret sur le monde ; c’est parce que telle population nous manipule ; c’est parce que telle population pourrit notre nation ; c’est parce que telle population vole nos emplois.

Or, une société telle que la nôtre, avec plus de soixante millions de personnes toutes différentes les unes des autres,  interagissant différemment selon les situations, les structures sociales et les contextes, on ne peut pas qualifier un groupe composé de dizaines de milliers de personnes comme perpétuellement « bon » ou « méchant » ni leur attribuer de mêmes objectifs ou de même valeurs malsaines ou bonnes.

Donc, le syndrome du grand méchant monde est un substrat parfait pour laisser le pouvoir aux autoritaires, aux adeptes d’un état ultra sécuritaire. On rappelle quand même que ce genre de pouvoir, pour imposer « l’ordre » détruit petit à petit les libertés, ne remet pas le pays d’aplomb, créé de la violence, travaille à installer une deshumanisation effroyable. Je vous conseille le livre « purifier et détruire » de Semelin qui explique très bien les conséquences de ces politiques.


 « Mais le monde est méchant, égoïste, dangereux ! l’humain est mauvais par essence ! »


 

Qu’est-ce qui est à l’opposé du « grand méchant monde » ? Le monde des bisounours. Il y a peut-être là une piste d’explication à la surexploitation du terme « bisounours » : le syndrome du grand méchant monde a gagné les cœurs de ceux qui accusent les autres de bisounours, parce qu’il est pour eux impossible de concevoir le monde de façon non-méchante. Mais ceci ne répond pas à notre question, qu’est ce qui s’oppose vraiment à cette perception d’une société mauvaise par essence ? Les comportements altruistes. Ce sont des comportements à l’opposé de l’égoïsme : les altruistes vont sauver l’autre, l’aider au péril de leur vie, à leur déprofit total. On pense souvent que le vrai altruisme n’existe pas : il serait motivé par la récompense, il le ferait pour redorer son ego, il le ferait pour acquérir un statut de sauveur, être applaudi, il le ferait dans l’espoir qu’on lui rende cette aide plus tard (par exemple celui qui aide la personne âgée en l’espoir d’être inscrit sur le testament), il serait généreux juste pour des questions de pouvoir.

Nous n’entrerons pas dans le débat « vrai altruisme / faux altruisme »1 pour des soucis de longueur d’article et nous nous en tiendrons à l’observation des comportements effectifs : dans les faits, dans les actes, on voit des comportements prosociaux, c’est-à-dire un altruisme actif qui dessert celui qui en fait preuve et qui sert parfois toute une population en retour.

L’empathie est quant à elle indéniable et moins sujette à débat : on en est tous pourvus, on peut souffrir de cette compétence et la fuir, mais on peut aussi la prendre en compte et adopter un comportement altruiste pour régler cette souffrance empathique.

On le voit d’abord chez les enfants : les très petits enfants vont se mettre à pleurer s’ils voient un autre enfant pleurer. Plus tard, certains d’entre eux vont naturellement chercher à résoudre ces pleurs en donnant des objets, en s’occupant de celui qui est malheureux. C’est ainsi qu’ils gèrent parfaitement leur empathie, d’abord douloureuse de ressentir ce que l’autre ressent, puis résolue en adoptant un comportement pro-social efficace qui rend heureux l’autre enfant. Si on regarde à l’IRM-f deux cerveaux adultes de sujets d’expérience, l’un subissant une punition arbitraire (un choc électrique) et l’autre observant ce choc chez l’autre, on constate que celui qui a vu la souffrance active les mêmes zones que celui qui a souffert. On souffre de voir la souffrance d’autrui, et cela même sans être un « saint », un « héros », c’est une réaction de base : c’est la réponse à cette réaction qui change selon les personnes.

Avec l’âge, les expériences douloureuses/heureuses, l’éducation, la culture, les croyances (on ne parle pas forcément de religion, mais de croyance sur le monde, tel que le syndrome du grand méchant monde), on change. Face à l’empathie douloureuse, on fuit, on dénie, on attaque celui qu’on imagine causer la souffrance pensant que cela va arrêter la situation. Et parfois on reste altruiste, on va dans la situation avec sourire et courage, on prend le risque d’aider vraiment quitte à perdre beaucoup de plumes alors qu’on aurait pu ne pas affronter cette situation.

Les exemples sont nombreux :

  • Ceux qui ont cachés ou aidés les juifs durant la Seconde Guerre mondiale sont estimés au nombre de 50 000. Beaucoup d’entre eux ont refusé les récompenses a posteriori, estimant qu’ils n’ont pas fait grand-chose ou citent des exemples plus héroïques que les leurs. Leur altruisme, au péril de leur vie, leur paraît être un comportement normal.

Mise à jour de 2023

Nous avons rapporté une étude de psychologie sociale sur les sauveteurs durant la seconde guerre, ici :

[PA1] La personnalité altruiste

.On peut aussi trouver quantité de témoignages dans :

      • Pour sortir de la violence, Jacques Semelin, 1983
      • Sans armes face à Hitler, Jacques Semelin, 1998
      • La résistance aux génocides, Jacques Sémelin, Claire Andrieu, Sarah Gensburger, 2008
      • un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko, 2005
  • On rapporte beaucoup de témoignages de personnes aidant autrui pour « rien » en retour (Ricard 2013) : un homme sauve un enfant pris dans la bouche d’un puma et s’échappe avant que la mère puisse le remercier ; un père de famille se jette sur les rails d’un métro pour protéger un épileptique en pleine crise tombé alors qu’un métro arrive ; une personne avec un handicap physique va dans la rue pour sauver une femme qui se fait violée et tient tête au violeur malgré la différence physique ; là aussi le « héros » refuse son statut et se considère comme normal.  » J’ai fait ce que j’avais à faire » disent-ils souvent.
  • Il existe un autre type d’altruisme héroïque dont on parle peu en terme « d’altruiste »: l’héroïsme social. Ce sont les lanceurs d’alerte, ces « whistblower » qui mettent leur vie en péril pour révéler au monde certaines vérités jusqu’à lors inconnues. Snowden est évidemment exemplaire en la matière. Mais on pense également à certains journalistes, certains enquêteurs, certains activistes, certains chercheurs qui mettent leur vie sociale voire physique en danger pour découvrir des vérités cachées ou des informations ou connaissances impossibles à obtenir sans risques.

Mise à jour 2023 

Nous avons donné quantités d’exemples dans l’article sur la désobéissance altruiste : 

Comment désobéir de façon altruiste ? Quelques listes

Nous avons également récolté des témoignages anonymes de désobéissance altruiste que nous avons rapporté dans l’ebook présent ici :

En toute puissance, manuel d’autodétermination radicale

  • On pense également à ces invisibles qui disent « non », empêchent de mauvais projets d’aboutir, empêchent les mécaniques immorales d’arriver à leurs fins. Ce sont des actes courageux qui nous servent tous – parfois sans qu’on connaisse leur existence – et qui sont très coûteux à ceux qui les produisent. On conseille de regarder le jeu de la mort (ci-dessous) et de bien observer ceux qui arrivent à s’extirper de l’expérience : leur « non » est difficile et il leur faut beaucoup de courage, de bienveillance pour réussir à le tenir. Les autoritaires, à ce jeu-là, ne s’en sortent pas2, finissant par « tuer » contre leur volonté ; les bisounours « gagnent », sauvant au passage une vie.

  • Si l’homme était si mauvais, n’avait que de mauvais sentiments qu’il était fondamentalement dangereux pour son prochain, il ne ferait pas d’art, de musique, il n’écrirait pas de fictions, il ne s’occuperait pas de ses enfants avec un tel soin, il n’aurait pas d’animaux domestiques ne « servant à rien », il n’y aurait pas une seule association d’aide quelconque. La science ne serait que militaire, la psychologie ne serait qu’un moyen de manipuler les gens, la médecine et la pharmacie qu’un moyen d’empoisonner les populations, on n’inventerait que des objets pour se défendre ou attaquer. Si l’homme était si mauvais, l’humanité n’existerait plus depuis des millénaires : ce sont nos comportements prosociaux, notre collaboration entre nous, avec les autre animaux, qui nous ont (entre autres) fait survivre et évoluer. Si l’espèce humaine a survécu, ce n’est pas selon le lieu commun de « la loi du plus fort », mais bien par l’empathie et la solidarité automatique de l’être humain.

Mais on peut vous comprendre, les exemples ou ces arguments peuvent ne rien valoir à vos yeux. Alors regardons ce qu’en dit la science.

Daniel Batson a étudié et testé l’altruisme banal de la vie quotidienne (c’est à dire sans acte héroïque mettant en péril sa vie) afin de prouver qu’il existait en lui-même, sans pour autant qu’il y ait des intérêts cachés derrière ces actes qui aident vraiment autrui. Comme il existe énormément d’objections à l’altruisme véritable, qu’il soit de bon ton de penser que l’homme est fondamentalement égoïste et mauvais, il a passé 15 années à étudier la question, à renouveler ses protocoles d’expériences pour finalement démonter toutes les objections qu’on lui apposait et en conclure que  l’altruisme véritable, celui qui a pour seule motivation la réalisation du bien d’autrui, existe bien. On voit par exemple dans ses expériences (Batson 1981)  que les participants empathiques préfèrent prendre la place de celui qui reçoit des chocs électriques d’apparence très douloureuses plutôt que de voir un sujet les recevoir (et cela même s’il peut quitter l’expérience au bout de deux observations). Les participants veulent avoir des nouvelles du sujet mal en point même si cela leur est pénible ; ils veulent aider les sujets de l’expérience, même si on leur dit que tout le monde a refusé et que ce n’est pas grave s’ils refusent.

Nombreuses autres expériences prouvent que l’homme n’est pas un sadique : les expériences de Milgram, bien qu’effrayantes, montrent que lorsqu’on laisse le choix aux sujets d’arrêter l’expérience quand ils le veulent, quand « l’autorité » n’est plus là ou lointaine, ils n’électrisent pas leur prochain. La bonté peut même parfois être totalement déraisonnable : si un expérimentateur leur laisse le choix entre s’exposer à un son qui peut potentiellement détruire leur audition ou s’en tenir à des sons non dangereux, ils prennent le plus gros risque (les sons en fait n’étaient pas dangereux, rassurez-vous) (Martin, Lobb, Chapman et Spillane (1976).

Les expériences en psychologie en général montrent que l’humain n’est pas un sadique, que les psychopathes sont rares : par contre, l’humain fuit plutôt que de chercher à « résoudre » efficacement la douleur empathique, il se soumet à des autorités dangereuses, il a du mal à dire non, il se soumet à la pression sociale, il fait des erreurs de jugement et d’interprétation, il est influençable…

Nous nous abstiendrons de faire tout le compte rendu de ces expériences passionnantes aujourd’hui afin de ne pas faire encore un article de 30 pages ;). Cependant nous donnerons des références en fin d’article.

  « Oui, mais quand même les salauds sont majoritaires ! Sinon la Terre, les autres hommes, les animaux ne seraient pas aussi mal traités… »

 

Dans le canard se cache toujours un lapin

Les « salauds » existent, c’est indéniable. Encore faut-il vraiment les distinguer : certains pilleurs, voleurs, le font par nécessité de survie. Certains agresseurs le sont pour défendre d’autres personnes en danger. Certains comportements agressifs, bien que n’étant clairement pas l’idéal, le sont par souci de préserver les siens, préserver sa vie.

Mais parfois aussi cette perception du « grand méchant monde empli de salaud » crée le grand méchant monde en question. « On est ce que l’autre dit que l’on est » : dites à un élève que c’est un cancre, cessez d’essayer de lui apprendre comme les autres et il deviendra un cancre ; dites à ce même élève qu’il a un grand potentiel, il deviendra bon (ou en tout cas il fera de remarquables progrès).  À force de ne voir l’humanité que sous l’angle du pire, on finit par correspondre à cette définition ou du moins on se laisse aller à y correspondre.

Les médias ont un rôle prédominant dans cette définition négative de l’humanité, les médias ne s’intéressent pas aux histoires positives. Ils cherchent du spectacle, de l’extraordinaire, de l’incroyable : ce qu’il y a de plus « banalement » bon chez l’humain ne transparaît aucune seconde. S’ils s’intéressent aux initiatives positives parfois, la question arrive inévitablement dans l’interview « mais, c’est pas un peu bisounours votre projet ? », « vous ne pensez pas que c’est utopique votre projet ? ». Évidemment, les médias et ses journalistes, à force de tremper dans le pire de l’humanité et ne jamais avoir l’œil pour déceler ce bien banal ne peuvent pas concevoir un monde non-méchant : les personnes sont forcément égoïstes, lâches, violentes, capables du pire pour assouvir leurs propres désirs.

Or c’est faux et ce sont parfois les médias eux-mêmes, qui, en mettant le focus sur le pire, crée le pire  :

 En août 2005, l’ouragan Katrina ravage la Nouvelle-Orléans et les côtes de la Louisiane. Les premiers jours suivant le drame, CNN rapporte qu’il y a eu des tirs et du pillage et que « La Nouvelle-Orléans ressemble plus à une zone de guerre qu’à une métropole américaine moderne ». Le tableau est dressé : nous voici dans un film catastrophe où les humains profitent du désastre pour abandonner toute civilité et se comporter en mauvais brigands.

Le maire de la Nouvelle-Orléans ordonne à 1500 policiers d’abandonner leurs missions de sauvetage pour s’occuper de la sécurité, faire régner l’ordre pour contrer les pillages. Les médias continuent de dresser le tableau : femmes violées, meurtres, même les policiers sont pris en cible par les tireurs. Le gouverneur de la Louisiane envoie alors des troupes de la garde nationale pour renforcer la sécurité. Il annonce à la population que « ces troupes savent tirer et tuer, elles sont plus que désireuses de le faire si nécessaire, et je m’attends à ce qu’elles le fassent ». Ce sont donc 72 000 militaires déployés.

Les déclarations des médias, les mesures du gouvernement en terme de sécurité sont claires : la population est mauvaise, préférant profiter du drame pour lâcher ses plus bas instincts. Le monde est méchant, sinon il n’aurait pas fallu tant de gens pour assurer l’ordre.

Or les faits motivant ce déploiement étaient faux. Les premières news étaient basées sur des rumeurs : le Los Angeles Times a reconnu par la suite que ces informations étaient faussées ; le chef de la police de la nouvelle Orléans a avoué que ses déclarations étaient fausses : il n’y avait eu aucun meurtre, aucun viol ni agression.  Le chaos et la violence décrits par les médias n’avaient pas existé. (Misleading reports of lawlessness after Katrina worsened crisis, officials say | New Orleans | The Guardian et aussi une revue sur wikipédia : Effects of Hurricane Katrina in New Orleans )

Au contraire, des centaines de groupe d’aide se sont montées entre citoyens, ils se sont entraidés sans contrepartie. Mais les fausses informations avaient déjà fait leur travail de sape : beaucoup de sinistrés ont refusé de quitter leur logement et d’être secourus, malgré le danger environnemental à cause de la peur de pillages.

(issu de Ricard, 2013)

Il est intéressant de voir que faire percevoir le monde humain comme malfaisant permet de justifier un flicage massif de celui-ci. Nous haïr les uns les autres, n’avoir aucune confiance en l’humanité, sert certains intérêts, intérêts qui nous nuisent à bon nombre de niveaux. Avant de devenir misanthrope, il est bon de s’interroger en quoi cette attitude sert ceux qui veulent que le monde n’évolue pas ou soit moins en liberté.

 Quant à l’état de la planète, les mauvais traitements des animaux, les guerres (…), penser que c’est une preuve que  l’homme est mauvais est la meilleure façon de ne rien faire : certes, on fait des dégâts, des erreurs, mais on évolue. Croire l’humain uniquement mauvais, c’est refuser toute possibilité d’évolution bénéfique, chez les autres comme en soi. Or rien n’est figé : notre cerveau peut être plastique, on peut changer. Nous sommes des animaux sociaux, et si on change nos environnements sociaux, nous nous changerons pour nous y adapter.  Par contre cela demande un certain travail : se dire « de toute façon je suis nul » c’est notre nature d’être mauvais » ou « c’est foutu » est un déni bien pratique pour ne jamais entamer sa propre évolution, donc par rebond, celle des autres et du monde. En attendant, d’autres, plus puissants, plus manipulateurs, plus égoïstes n’ont qu’à exploiter ce filon de corps et cervelles abandonnées au désespoir ou au cynisme.  Autrement dit , voir le monde sous son angle le pire est le meilleur moyen pour se faire instrumentaliser.

 Donc… la société humaine n’est pas jugeable « bonne » ou « mauvaise » tant les situations qu’elle produit sont variées et complexes

Croire que l’humain peut être altruiste, qu’il n’est pas qu’un égoïste et qu’il est capable de faire des bonnes choses, ce n’est pas évincer la possibilité qu’il se comporte à la façon du « grand méchant monde ». Ce n’est pas manquer de discernement ou de conscience, ce n’est pas pour autant être totalement en confiance de façon extrêmement naïve, ce n’est pas tendre l’autre joue quand on vous frappe. C’est simplement adopter un point de vue plus réaliste au vu de la complexité de notre monde : le pire comme le meilleur est possible. Alors si l’altruisme est possible, autant le cultiver.

Mais cela nécessite un travail de remise dans la réalité, un travail d’hygiène mentale afin d’avoir le cerveau nettoyé de ces pré-conceptions-poisons qui nous corrompent et corrompent autrui. On est tous blindé de préjugés et stéréotypes plus ou moins graves, on a tous des a priori sur certaines situations, donc ce qui suit là ne concerne pas simplement ceux atteints du syndrome du grand méchant monde, cela nous concerne tous :

➜ faire une pause « médiatique » de temps en temps est nécessaire : on est complètement assailli d’informations sans que cela serve notre action pour autant. Notre cerveau est un estomac à informations, il en a déjà des centaines à traiter même en étant au repos sans écrans : permettons-lui de gérer la réalité, c’est à dire seulement notre présent de sensations, notre présent d’actions, notre corps, nos proches et quelques projections futures. Une boulimie d’informations, si plaisante soit-elle sur le moment, si enivrante soit le fait de savoir tout sur l’actualité ou autre, dessert notre activité quotidienne et les soucis à traiter. Faire une pause médiatique permet au cerveau de bien fonctionner, de se re-concentrer sur ce qui compte, cela permet d’être mieux dans sa vie et de faire des meilleurs choix et pas des choix en fonction d’interprétation d’informations extérieures à nos vies. Tout comme on mange pour avoir des forces et qu’une fois comblé, on s’arrête et on fait un effort pour ne pas se gaver de sucreries même si on prend plaisir à celles-ci, faisons de même avec la consommation d’information, tentons de gérer aussi notre nutrition informationnelle et éviter les tentations inutiles.

Un exemple en lien avec nos articles : après avoir lu notre article sur le chômage (ou autre), il est possible qu’on ait un énorme a priori sur le pôle emploi et toutes les administrations. Si on doit y  aller immédiatement, on va s’attendre au pire : ambiance horrible, agent perdu, affaires qui n’avancent pas, entretien désastreux, etc.. On a avec l’information négative sur une administration, une attente négative, une sorte de filtre qui va nous pousser à adopter une attitude ou une perception des faits qui aura des conséquences négatives. Au contraire, si on ne se bourre pas le crâne d’informations négatives sur les administrations, qu’on laisse en pause son cerveau avec ces questions, on aura plus de chance de ne pas passer un mauvais moment.

➜ Une fois la pause faite, le cerveau reposé, on peut vraiment prendre la mesure de la réalité autour de nous et la regarder avec un angle sans a priori. C’est avec cette perception qu’on casse à coups de marteau les préjugés et qu’on peut vraiment voir convenablement ce qui se passe autour de nous.

Toujours avec notre exemple de l’administration, si on y va la tête bourrée d’informations négatives, on cherchera à confirmer leur existence : qu’importe la façon dont se passe le moment, notre attention sera focalisée sur le négatif (la file d’attente, un usager désagréable, un malentendu…). Or si on y va sans attentes positives ou négatives, avec un questionnement ouvert « qu’est-ce qui va se passer de remarquable ou mémorable ? », notre perception pourra remarquer les subtilités positives comme négatives ou encore mystérieuses. On sera alors surpris de remarquer que l’agent a pris d’immenses précautions pour être doux, pour être compréhensif, chose qu’on n’aurait pas remarquée avec des attentes négatives. Si l’agent est épuisé et agit comme un robot, on remarquera qu’il a néanmoins réussi à comprendre notre requête. Bref, on percevra beaucoup plus de signaux non-négatifs, on percevra plus de complexité (on comprendra la tension d’un agent parce qu’on aura vu l’agressivité d’un usager ; mais on comprendra aussi l’agressivité de l’usager étant donné qu’il a peut-être peur de ne plus avoir de quoi manger le mois suivant). Le monde est complexe, rien n’est jamais entièrement sombre ou positif.

➜ Quand on a décidé que son cerveau était bien reposé, qu’on arrive à se reconnecter correctement, sans trop d’a priori ou d’attente de la négativité du monde, alors on peut re-consommer de l’information. L’idéal étant de consommer ces informations comme on consomme un repas : on choisit un plat complexe, varié en nutriments, un plat qui peut se consommer lentement, qu’on peut mâcher à loisir pour permettre une bonne digestion profitable. Comme pour la nourriture, il faut écouter ses besoins, pas forcément la petite voix du plaisir facile. Il en est de même pour le cerveau : on est intéressé par ce dont on a besoin pour avancer dans la vie, on est attiré par des thématiques qui seront utiles à nos actions, qui peuvent nous permettre de résoudre des problèmes. Le cerveau cherche l’utile : il retient ce qui fait écho à ses projections, ses problèmes, ses frustrations (ce que la pub exploite à l’excès d’ailleurs). Servons-le en retour et choisissons les informations dont on a besoin, parce qu’elles touchent un domaine dans lequel on peut agir concrètement, parce que ces informations peuvent nous aider.

Cependant ce choix nécessite plusieurs choses :

  • La télévision ne répond pas à ces différentes attentes puisque de base, elle impose ses programmes selon ce qu’elle imagine des gens et leurs attentes. Elle ne nous sert strictement à rien à notre époque, si ce n’est nous remplir de n’importe quoi, n’importe quoi qui sert à l’insertion de la pub dans notre cerveau. Certaines chaînes font des documentaires, des émissions intéressantes : on les trouve sur leurs sites, vous n’avez pas besoin du cordon TV.
  • Consommer de l’information bénéfique pour nous et nos futures actions nécessite de voir clair en nous : il s’agit faire face à ses problèmes, ses préoccupations, d’être franc avec ce qui nous chagrine personnellement. Il ne s’agit pas là de se juger ou se morfondre – ce serait improductif -, il s’agit juste constater les problèmes et faire naitre le projet d’y remédier : souvent nos problèmes apparaissent confus, c’est signe qu’on manque d’informations à leur sujet, c’est donc un appel à s’informer spécifiquement sur ceux-ci.
  • Consommer de l’information bénéfique pour nous et nos futures actions, nécessite de la lenteur, des pauses, parce que trouver l’idée qui résoudra un problème nécessite une incubation de l’information qui se fait à travers nos processus inconscients3. La lecture (ou le visionnage de documentaires) avec prise de notes personnelles sur ce qui vous intéresse et fait écho en vous peut être productif en idées. Cela permet d’internaliser certains points interessants, de prendre des décisions ou encore de découvrir ce qui vous touche vraiment, ce qui compte et fait sens. Les pauses sont essentielles pour incuber tout cela et faire des liens qui produiront des idées nouvelles.
  • Cette lenteur concerne aussi le temps qu’on passera à s’informer sur une thématique : quand on commence à vraiment s’intéresser profondément à une thématique, naturellement on cherche à combler les vides, à chercher d’autres points de vue, même radicalement opposés. On se rapproche là d’une enquête et ça prendra du temps. Et cela n’a rien de désagréable, bien au contraire : étant donné que cela entre en écho avec nous, de notre corps au tréfonds de notre cerveau, ce travail a du sens. Et rien n’est plus plaisant que ça.

Et la fiction ? Et l’international ? On oublie tout ? On se préoccupe que de son nombril et ce qui gravite autour ? 

 

L’international n’existe pas à la télévision

Bien sûr que non, n’oublions pas l’international ! Les propositions précédentes ne sont que des idées pour mettre au clair sa cervelle, ce ne sont que des étapes parmi d’autres. L’information est une bobine de fils entremêlés : le JT ne montre que fugacement certains fils qu’on a à peine le temps de distinguer. En se préoccupant d’un seul fil, on arrive à des emmêlements avec d’autres, on se met à comprendre les nœuds puis à suivre d’autre fils : imaginons qu’on en a marre des administrations, qu’on trouve qu’elles sont toutes aussi stupides les unes que les autres. On se vide la tête puis, on décide d’observer leur fonctionnement du mieux possible, sans y plaquer nos a priori ou jugements. On fait le constat, l’état des lieux, puis on cherche à s’informer de la façon dont est géré l’administration en question ; puis comment les fonctionnaires et autres usagers la vivent ; puis on s’interroge sur la société, son fonctionnement, sur quoi elle repose ; on découvre des idéologies ; et ainsi de suite. S’intéresser à une seule thématique, mais de façon très téméraire et passionnée permet de remonter à des questions bien plus vastes. En cela, cibler et chercher l’information en rapport avec des questions qui nous préoccupent directement dans notre vie quotidienne et au final moins égoïste que de mémoriser la liste des titres du JT sans chercher à en comprendre plus. Parce que les informations que l’on aura ciblées nous servirons, nous permettrons d’agir, car on est concerné par la situation : dans l’administration, on ne s’énervera pas sur l’agent qui ne peut nous clôturer le dossier, parce qu’on saura à quel merdier bureaucratique il est soumis, on saura qu’il est forcé de nous rentrer dans des cases, que ce n’est pas de sa faute et que crier ne résoudra rien. Le problème est systémique, lié à telle série de lois, telle politique, tel remaniement récent. On pourra être en paix avec cet agent et discuter avec lui des politiques qui l’empêche de cloturer le dossier, peut être même en récolter d’autres informations sur ces politiques, voire transformer ce mauvais moment en échange enrichissant entre humains se soutenant dans l’adversité et l’injustice.

Donc, s’intéresser à l’international vient assez naturellement : pour comprendre ce que nous vivons, voir l’ailleurs est forcément enrichissant parce les pays ne sont pas magiquement séparés. Il y a des histoires communes, des évènements internationaux sont connectés, des liens et des conflits qui peuvent avoir un impact direct sur notre quotidien ou de mystérieux problèmes qui nous accaparent.

Mise à jour 2023

Parfois on peut faire aussi le chemin inverse : on s’intéresse à une question qui n’a rien à voir avec nous (du moins c’est ce que l’on pense en premier lieu), puis on découvre des connexions qui expliquent, révèlent des choses qu’on n’arrivait même pas à formuler avant.

Mais là encore, la télévision ne permet pas de voir tout ceci finement. Nous postulons même que le traitement de l’information internationale renforce les stéréotypes et le racisme : ne voir de l’étranger que des pays en crise, des catastrophes, des guerres, de la pauvreté, des mouvements de violence, etc., laisse l’étranger étranger et accroît la peur de celui-ci. Avez-vous déjà vu un scientifique roumain, un intellectuel marocain, un artiste rwandais vous parler longuement de son pays, des événements qu’il traverse, de son avis sur des questions globales ? La télévision préfère prendre sur le vif des réactions dramatiques dans des instants dramatiques, saisir au vol des émotions fugaces plutôt que des réflexions et des pensées profondes, ce qui ne reflète pas ce que sont et vivent les gens. Les JT n’offrent qu’une vision effrayante et exagérée du pire de la réalité et quand ils tentent de montrer du positif,  du « bon », ils le font  avec distance, condescendance, pitié ou ridicule, ce qui renforce aussi le syndrome du grand méchant monde (type « les gens gentils sont des crétins »).

La fiction donne plus de réalité que la téléréalité

Quant à la fiction, au vu de ce que j’ai écrit, on pourrait en déduire qu’elle est inutile, apportant au cerveau des tonnes d’informations inutilisables et le fatiguant pour rien à vivre des émotions pour de fausses situations dramatiques. Or ce n’est pas du tout notre point de vue : la fiction est parfois le meilleur moyen pour comprendre, reconnaître des situations complexes et éventuellement bien se comporter face à ces situations. Et tout cela sans interférer avec nos représentations du réel comme le font les news ou les téléréalités, sans créer de syndrome de grand méchant monde. Un roman est comme une forme de télépathie : l’auteur, par l’histoire, transmet ses mécanismes, ses schémas. Schémas que le lecteur tortille dans tous les sens possibles avec son histoire, son style, son imagination : l’auteur nous offre en quelque sorte sa plasticité cérébrale, stimule notre empathie même pour des situations que l’on n’aura jamais l’occasion de vivre (pour la science-fiction par exemple). Notre cerveau répète la fiction comme s’il vivait dans la peau d’un autre, sans pour autant que ce soit mélangé à la réalité de façon directe. On ne va pas se mettre à avoir peur des personnes au look gothique après avoir lu ou vu Dracula, par exemple. Par contre la fiction pourra permettre de reconnaître certaines situations psychologiques : après avoir vu Breaking Bad on ne va pas suspecter tous les profs de chimie d’être des fabricants de méthamphétamines, par contre quand on verra un directeur devenir sans pitié pour faire toujours plus de profit on reconnaîtra le phénomène propre à cette rationalité vidée de toute empathie comme le parcours du personnage de Breaking Bad. Cela permettra non pas d’en conclure « mais quel connard ! il mériterait d’être guillotiné » mais plutôt de pouvoir imaginer toute la complexité de ce qui motive ses décisions inhumaines et d’imaginer quelles pistes pourraient être explorées pour remédier à sa folie rationnelle.

S’abreuver de fictions de grande qualité est mille fois plus bénéfique que de se laisser abrutir par les divertissements télévisés, les fictions offrant des vues de la réalité bien plus profondes, plus stimulantes, moins intrusives que celles que proposent la télévision.

En résumé, contre le syndrome du grand méchant monde, nous conseillons :

  • d’abandonner définitivement le visionnage « classique » de la télévision, c’est à dire tournant en fond, sans sélection.
  • de faire de temps en temps des breaks médiatiques, des pauses d’écrans.
  • de tenter d’observer la réalité dans toute sa complexité et ses liens et pas seulement ses apriori et ses attentes. Peut être qu’il y a des choses intéressantes, surprenantes, nouvelles à observer.
  • de s’informer de façon sélective, c’est-à-dire en fonction de nos intérêts réels, de nos problèmes personnels : l’information que l’on sélectionne peut être corrélée à notre vie, qu’elle soit un écho, un sens, une réponse, ainsi elle sera efficiente dans nos actions. Mais attention, cela nécessite de regarder sa vie en face, de ne pas être dans le déni de nos vraies préoccupations. Pas d’inquiétude, ce n’est pas égoïste ou être fermé sur soi-même : les problèmes personnels ne sont jamais si personnel, on en vient vite à voir qu’ils sont liés à de grands phénomènes sociaux, politique, historique, internationaux, etc. On tire sur un fil et c’est toute une pelote de thématiques qui arrivent avec tout ces entremêlements. Etonnamment, à vouloir régler radicalement (c’est à dire vraiment à sa racine) un problème qui nous affecte, revient souvent à régler un problème que beaucoup d’humains ont, ce qui n’est clairement pas  une démarche égocentrique.

Note de 2023

Ce conseil précédent pourrait apparaitre individualiste à certains, mais ce n’est clairement pas dans un sens de développement personnel que je l’entend ; regarder ses problèmes, c’est regarder le reflet de la société qui nous a traversé. Vouloir régler « nos » problèmes – qui ne sont pas que les nôtres ni d’ailleurs pas très « nôtres » – revient alors vouloir régler les problèmes de la société : 

Dans son étude sur les grands créatifs (personne ayant eu au moins un nobel, donc ayant eu un impact fort sur l’avancement de leur domaine et/ou de la société) Mihaly Csikszentmihalyi4 montre que l’origine de leurs quêtes remontent à des préoccupations, des problèmes ou passions personnelles que progressivement ils ont découvert commune à l’humanité et qu’ils ont cherché à connecter avec des tas de grands domaines. C’est une quête qui donne sens à leur vie et à la vie en général.

A l’inverse, les autoritaires (donc des personnes très sensibles au discours façon grand méchant monde) ont tendance à ne pas vouloir regarder leurs problèmes personnels car ils n’arrivent pas à gérer le stress5, ce qui les fait stagner dans les situations à problèmes. Et les influenceurs d’extrême-droite utilisent ces émotions non traitées, déniées, font semblant de les régler, mais ne font en réalité qu’entretenir ces affects négatifs car ils très utiles pour promouvoir leur idéologie6. C’est donc important pour s’éviter de plonger que de traiter chacun de ses propres stress, cela peut être dur en premier lieu, mais parfois c’est le début d’une quête qui donnera du sens à sa vie et celle des autres.

 

  • de se donner le temps de digestion de l’info, de se donner du temps pour chaque question qui nous intéresse. Notre organisme, de l’estomac au cerveau, a besoin de temps pour « digérer » pleinement et efficacement.
  • de ne pas se priver de la bonne fiction, bien au contraire, elle a d’immenses bénéfices : elle divertit, développe notre empathie, joue avec notre plasticité cérébrale, stimule notre imagination, nous offre des schémas inédits et des idées, nous faire comprendre l’autre, etc.

Conseils en vrac

  • un « don’t feed the troll » actif :  l’énervé /l’autoritaire se nourrit de haine, de colère, de guerres. Répliquer dans le cadre qu’il a posé est malheureusement le meilleur moyen de lui donner encore plus de pouvoir et de terrain. Il ne s’agit pas d’ignorer ses méfaits et de faire comme si de rien n’était, il s’agit d’être plus malin et changer progressivement les règles de son jeu : la réplique doit se faire par des moyens autres (l’humour, la créativité, l’imagination, l’astuce…), si possible en corrigeant ce qu’il exploite de façon non frontale.
  • attention à l’effet streinsand et à la réactance !

 

  • On peut sortir l’autoritaire de son cadre en refusant le terrain de guerre qu’il aime à imposer : on peut tenter de l’écouter attentivement et respectueusement, s’intéresser à ses propos et même chercher à en savoir plus comme s’il s’agissait du plus intéressant des thèmes. Progressivement, il s’agit de lui faire parler des vrais problèmes personnels qui l’affecte (et qui n’ont rien à voir avec l’actualité ou des thèmes de son idéologie).  Cependant, avec certains, la sympathie peut mettre en état de rage, mais cet état de rage le décrédibilisera aux yeux d’autrui.

Mise à jour de 2023 :

Avec le temps et l’exposition, nous avons eu l’occasion de mettre en pratique très très souvent ce conseil, et je confirme que, 10 ans après, ça marche étonnamment bien. On a découvert aussi que certains font des « crises » de fascisme comme s’ils avaient cruellement besoin d’attention et d’être écouté, étant donné tout ce qu’ils racontent ensuite lorsqu’on les fait quitter le terrain de guerre. Et ensuite certains nous remercient (?!?). Evidemment, ça demande du temps, de la patience, de l’énergie : ne vous sentez surtout pas obligé de faire ça, c’est seulement une stratégie parmi d’autres.

  • l’énervé pose un cadre, le seul moyen d’affaiblir ce cadre malsain est d’en sortir, de montrer autre chose qui cassera immanquablement ce cadre. Viser un hors-sujet peut parfois aider.

Cet article n’était pas exhaustif, nos conseils non plus. Ce ne sont que des pistes parmi d’autres.


Sources


[elles ont été mises à jour aussi en 2023]

Syndrome du grand méchant monde :

  • 150 petites expériences de psychologie des médias, Sébastien Bohler.
  • Psychologie de la manipulation et de la soumission, Nicolas Gueguen

Le syndrome du grand méchant, suscité par des influenceurs d’extrême droite et/ou des agences de com ou de stratégie politique (USA et Russie)  :

Altruisme

  • Altruism in humans, Batson 2010
  • Is Empathic Emotion a Source of Altruistic Motivation? C. Daniel Batson, Bruce D. Duncan, Paula Ackerman, Terese Buckley, and Kimberly Birch https://greatergood.berkeley.edu/images/uploads/Baston-EmpathySourceAltruism.pdf
  • The Altruistic personality, Oliner, 1988
  • Plaidoyer pour l’altruisme, Matthieu Ricard, 2013. Cet ouvrage n’a strictement rien à voir avec un plaidoyer esotérico-religieux, bien au contraire, il y a une vraie recherche rigoureuse, basée sur les recherches en psychologie, en biologie, en éthologie, en philosophie…. On peut le lire en étant fermement athée.
  • Pour sortir de la violence, Jacques Semelin, 1983
  • Sans armes face à Hitler, Jacques Semelin, 1998
  • La résistance aux génocides, Jacques Sémelin, Claire Andrieu, Sarah Gensburger, 2008
  • Un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko, 2005

L’ouragan Katrina


Notes de bas de page


 

  1. sur ce débat faux altruisme/vrai altruisme, vous pouvez consulter : Altruism in humans, Batson 2010 ; The Altruistic personality, Oliner, 1988 ; Plaidoyer pour l’altruisme, Matthieu Ricard, 2013.  ; Un si fragile vernis d’humanité : banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko, 2005 []
  2. les autoritaires, dont l’autoritarisme est mesuré avec l’échelle RWA ou la personnalité autoritaire, ont tendance à obeir plus que les autres, à moins de les fatiguer cognitivement avant l’expérience, voir la revue de Lepage 2017 []
  3. cf le sujet de la créativité comme processus de résolution de problème, Csíkszentmihályi 2015 []
  4. Csikszentmihalyi, 2015, « the systems model of creativity » []
  5. cf la personnalité autoritaire d’Adorno, mais aussi les recherches récentes de Lepage 2017 []
  6. par exemple on voit ça dans les stratégies de Cambridge Analytica https://www.hacking-social.com/2022/03/07/manipuler-les-gens-vers-lextreme-droite/ , mais c’était aussi la stratégie d’Hitler, très bien expliquée dans « purifier et détruire » de Semelin []
Viciss Hackso Écrit par :

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4 Comments

  1. grumeau.couillasse
    27 septembre 2014
    Reply

    -La critique à un franc cinquante-

    Salut,
    je viens poster sur cet article mentionné dans la catégorie des plus lus au moment où je zappe sur le hacking social, car constatant le peu de participation depuis ma dernière approche.
    Premier point, le grand méchant monde n’a jamais été autant médiatisé sur le net que maintenant. La télé, du moins le souvenir qui m’en reste, c’est du pipi de chat en comparaison. Là, mauvaise amorce, contre-sens ou ce que tu veux, Simone décroche d’entrée car elle hume une quelconque manipulation. Le web 2.0 est mentionné trop loin, Simone n’a pas eu la patience et s’est reconnectée à fessbouc.

    Second point, l’étude de Joseph Dominick, bien que présentée pour conforter la précédente, incarne également cet esprit de leurre. C’est si loin de nous le niou jersey… le pays du tricot. La laine. Les moutons. Fulbert qui jusqu’ici avait résisté à ton brutalisme ( hurr hurr hurr qu’elle est bonne celle là ) réalise qu’on le prend pour un ruminant. Catastrophe !

    Heureusement après ça démarre vraiment, les plus pourris le prouvent en reprenant du service, l’heure a sonné de sortir le grand jeu mais seuls les aficionados se délecteront de ta prose.

    Mauvaise intro quoi, faut impacter, saisir le gusse. Il la connait la télé, sinon il viendrait pas lire tes lignes.

    c’est un franc cinquante, pour rappel.

    merci encore, et à bientôt !

  2. Andrée-Anne Tremblay
    19 novembre 2016
    Reply

    Votre article est vraiment très intéressant. Je suis étudiante en psychologie et le phénomène du « grand méchant monde » pourrait être quelque chose de vraiment très pertinent et actuel à étudier en psychologie sociale, cependant, pour que l’article ici présent soit potentiellement utilisé comme une référence vous devriez réécrire vos sources en mettant des liens vers les documents que vous citez en source.

    • Viciss0Hackso
      19 novembre 2016
      Reply

      Merci ! Les sources ici sont des livres et non des articles, donc mettre un lien renverrait vers un site commercial, nous préférons laisser les personnes libre de leur choix de bibliothèque. Et sinon, en l’état oui, ce n’est clairement pas un article destiné à être exploité en cours de psycho sociale (j’estime qu’il n’est clairement pas assez exhaustif/pointu pour cette visée) il a été écrit pour les internautes curieux ; mais si cela peut être une amorce à étudier Gerbner et qu’un prof en psycho soc’ estime que c’est correct ou qu’il remette l’objet à sa sauce, pourquoi pas ma foi 🙂 Le syndrome du grand méchant a été traité ici ( http://www.hacking-social.com/2014/11/11/la-france-a-peur/ ), donc c’est peut être des sources originelles de Gerbner dont tu parlais et qui aurait pu manquer :
      « Les archives de Georges Gerbner, vous trouverez là les rapports d’enquêtes, les données collectés, et les conclusions du chercheur et de son équipe : http://web.asc.upenn.edu/gerbner/archive.aspx?sectionID=155&packageID=90 « 

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